Lundi 5 mai 2020, Mme Garnier, proviseure du Lycée Tristan Bernard s’est rendue à Strasbourg pour récupérer un don d’Emmaüs connect à l’intention de quelques élèves… L’apogée d’une aventure ? Retour en arrière…
Lundi 16 mars 2020 : premier jour de fermeture du Lycée Tristan Bernard dans le quartier de Planoise à Besançon. Nos 400 élèves confinés. En avant pour la continuité pédagogique !
Mardi 24 mars 2020: premier Groupe de Prévention du Décrochage Scolaire -GPDS- en visio. En général, il se déroule tous les 15 jours. Mais dans le contexte Mme Garnier, proviseure, décide de nous réunir toutes les semaines. Nous sommes dans un lycée professionnel situé dans un quartier : notre public est fragile et nous craignons un décrochage massif. Depuis une semaine, les conseillers principaux d’éducation répertorient et tentent de contacter les premiers perdus de vue. Les professeurs bousculent toutes leurs habitudes en cherchant le meilleur moyen de persévérer dans les apprentissages et aussi de maintenir un lien. Les enjeux sont énormes : pédagogiques et sanitaires mais également sociaux et humains. Et des vérités qui font mal, que nous connaissons, prennent des visages douloureux. La fracture numérique ? Pas de zone blanche dans le quartier mais un constat : nos élèves sont mal équipés…
En fait, grâce aux enseignants, le GPDS centralise les données qui sont sans appel : plus de 130 élèves, soit plus du quart de l’effectif, n’ont ni tablette, ni ordinateur portable. Et pour ceux qui sont équipés, dans une famille le même outil peut servir à plusieurs. De plus, contrairement à la croyance populaire, quelques jeunes n’ont pas de portable du tout ou des abonnements très très limités… Evidemment, la continuité pédagogique peut avoir de multiples formes et tout a été mis en place pour que des documents papiers soient envoyés grâce à Docapost. Mais avouons que c’est quand même beaucoup difficile et démotivant pour nos élèves. Vous avez déjà fait une visio d’une heure sur un smartphone ? Ou travailler sur un document word ? Et cela questionne…car ces jeunes si éloignés de certaines compétences numériques ont entre 15 et 20 ans. Certains d’entre eux vont bientôt devoir bientôt s’insérer dans le monde du travail, se faire une place dans la société. Et jusqu’à présent, Snapchat n’a pas lancé une appli “Mon premier job, mon premier appart, mon permis… ou mes premières démarches administratives”.
Quelles solutions ? Nous savons qu’il est impossible d’équiper l’ensemble de nos élèves et en fait, des solutions on en cherche pour tout et tous et surtout pour dépasser le numérique. Les enseignants sont attentifs et inventifs. L’assistante sociale et la PSY-EN sont sursollicitées. En fait, chacun selon ses fonctions se réinvente pour assurer ses missions avec des modalités de travail différentes.
Il y aussi des initiatives qui sont de petits miracles pour nos jeunes. Ainsi, dans le cadre de la cité éducative, une vingtaine de nos lycéens ont pu bénéficier de l’aide des étudiants bénévoles de l’association AFEV et PARIS.
Les cités éducatives dans l’Académie de Besançon
https://www.facebook.com/AFEVbesac/
Et puis mi-avril Nicolas Magnin, IA-IPR EVS de l’Académie de Besançon, s’assure de transférer aux chefs d’établissement une information essentielle : il y aurait possibilité d’obtenir un peu de matériel numérique pour des jeunes dans le besoin : “Dans le cadre de la crise sanitaire liée au COVID-19 et du confinement de la population, Emmaüs Connect met en place un dispositif exceptionnel afin d’outiller et de connecter les publics en situation d’exclusion numérique.”
Vous voulez en savoir plus ? C’est ici : https://emmaus-connect.org/connexiondurgence/
Mme Garnier informe le GPDS et avec notre assistante sociale Brigitte Delasayette, elle débute les échanges avec Thomas Delcourt, responsable territorial du dispositif sur Strasbourg. Les besoins sont énormes dans l’Est et nous sommes hors secteur… Pourtant, deux éléments plaident pour nous : nous avons été les premiers à nous positionner et nous sommes prêts à nous déplacer. Et puis le LP Tristan Bernard a déjà eu des liens privilégiés avec Emmaüs Besançon.
Bien sûr, face aux nombreuses demandes, il faut faire des choix cornéliens. Alors en nous appuyant sur le travail de tous, nous avons tenté de prioriser les priorités et finalement…
Nous sommes le 5 mai 2020 et il fait beau à Strasbourg. Thomas Lecourt et Muriel Garnier sont plutôt heureux du moment. Sur la table:
– 7 smartphones neufs
– 2 tablettes neuves
– 2 ordinateurs portables entièrement reconditionnés dans leur housse
Il s’agit de dons. Ce matériel appartiendra aux élèves.
Cela peut sembler peu au regard de nos besoins qui demeurent très, trop importants. Mais c’est énorme pour chacun des élèves bénéficiaires.Un immense merci à Emmaüs Connect qui n’aura pas la chance de voir les sourires de nos élèves s’épanouir sur leurs visages lors de la remise des cadeaux.
Aujourd’hui, nous finalisons en GPDS la listes des chanceux, ceux dont la persévérance nous a soufflés au cours des dernières semaines, qui se sont investis malgré les circonstances. Pour la rentrée de septembre, la Région envisage de doter l’établissement de 30 ordinateurs portables, dans le cadre de la Cité Educative 30 tablettes sont évoquées. Nous avançons. Pas à pas.
Nous sommes tous d’accord, le fait d’être équipé numériquement ne garantit aucunement la continuité pédagogique ou l’investissement des élèves. Mais je vous demande de réfléchir à ceci :
“Je ne sais pas faire du vélo.”
“Tu n’as qu’à apprendre.”
“Mais je n’ai pas de vélo.”
“Tu ne peux pas apprendre. C’est dommage. Une fois qu’on sait faire du vélo, on n’oublie jamais.”